Jean Laouenan

« Le patrimoine est une notion très complexe. D’un point de vue étymologique, le patrimoine c’est ce que l’on reçoit de ses ancêtres. C’est d’abord un legs d’objets, d’immeubles, de biens mobiliers, d’œuvres artistiques. Mais le patrimoine n’a pas seulement une dimension matérielle. Pour paraphraser le poète Alphonse de Lamartine : « Les objets inanimés ont une âme ». C’est la seconde dimension du patrimoine qui porte l’histoire humaine des objets qu’il faut exprimer et restaurer. Le patrimoine est représentatif d’une époque, d’une société, des hommes et des femmes qui l’ont incarné par leurs projets, leurs activités et leur existence.

Après une carrière dans le secteur de la banque et de la finance, au sein d’un groupe mutualiste, Jean Laouenan s’est engagé dans l’action municipale à Loctudy. Après un premier mandat consacré à la communication et aux nouvelles technologies, il a pris en charge, en 2014, le poste d’adjoint aux finances et au développement touristique et économique. C’est à ce titre, qu’en 2016, il a porté le projet muséal de la Conserverie le Gall, un projet complexe, à l’intersection de ses diverses expériences professionnelles et de ses missions d’élu.

Question 1 : Pouvezvous nous décrire votre parcours professionnel ?

J’ai effectué toute ma carrière dans la banque et la finance, au sein d’un grand groupe mutualiste français. J’ai travaillé dans plusieurs entreprises de ce groupe et dans différentes régions. Comme c’est le cas, quand on fait carrière dans une banque, j’ai occupé de multiples fonctions. J’ai commencé, au sortir de mes études, par le service juridique, puis enchaîné rapidement par les affaires internationales, le financement des entreprises et le développement local. J’ai été ensuite directeur d’un réseau départemental d’agences. Enfin, j’ai occupé des postes de direction générale en Aquitaine, puis dans le Finistère. En synthèse, une panoplie très diverse de métiers : sans être exhaustif, le juridique, les financements, la gestion commerciale et le marketing, les ressources humaines et la communication, le management et les relations sociales, les systèmes d’information. Pendant plusieurs années, j’ai également été président d’une société de capital développement en Bretagne. Son objet était d’aider les petites et moyennes entreprises à se développer.

Question 2 : Pouvezvous nous parler de votre rôle dans le cadre du projet muséal de la conserverie Alexis Le Gall ?

J’ai été porteur du projet de 2015 à 2020. J’effectuais, à l’époque, mon second mandat d’élu en tant qu’adjoint aux finances, ainsi qu’au développement économique et touristique de la commune de Loctudy. Je me situais, à ce titre, à la convergence de missions et de compétences à la fois complémentaires et parfois contradictoires. Être responsable des finances et donc des équilibres budgétaires et aussi
promoteur des projets de développement, consommateurs de ressources, est un exercice délicat. C’est aussi un exercice très fécond : dès le départ, il m’a fallu prendre en compte toutes les dimensions du projet, à la fois celles qui relevaient de la promotion du projet et celles qui prenaient en compte les contraintes financières. Cette approche a généré de l’efficacité, de la réactivité et identifié clairement les opportunités et les limites du projet. J’ai eu la chance de pouvoir piloter ce projet, dans le cadre d’une grande délégation. Ce qui impliquait de ma part une concertation permanente avec le Maire et les différentes instances municipales. Les différents volets de ce projet furent : le cadre juridique, la restauration des bâtiments et des collections, la muséographie et la scénographie, la recherche de financements publics et privés et de partenariats, la communication.

Question 3 : Qu’estce que vous inspire la notion de patrimoine ?

Le patrimoine est une notion très complexe. D’un point de vue étymologique, le patrimoine, c’est ce que l’on reçoit de ses ancêtres. C’est d’abord un legs d’objets, d’immeubles, de biens mobiliers, d’œuvres artistiques. Pour paraphraser Lamartine qui s’interrogeait sur l’âme des objets inanimés, l’autre dimension du patrimoine, c’est l’histoire humaine qui est porté par ces objets. Conserver et restaurer des biens mobiliers et immobiliers a de l’intérêt, mais ce n’est pas suffisant. C’est tout l’enjeu des projets muséographiques qui permettent de transmettre ce fragment d’histoire humaine, porteur de réalités, de savoirfaire et de valeurs d’une époque et d’un lieu. Le patrimoine se rattache également à des valeurs de citoyenneté et d’identité. Aujourd’hui, on débat beaucoup sur les interrogations des populations quant à leur identité, leur appartenance à une collectivité, dans un monde globalisé et numérisé. Le patrimoine local, les monuments qui ont traversé les siècles avec l’histoire des hommes qu’ils portent, contribuent à tisser des racines, à forger une identité et à se reconnaître dans une communauté. Cela nous ramène au débat actuel sur les « somewhere » et les « anywhere ». Cela concerne à la fois les loctudistes « de souche » qui auront envie ou l’opportunité de revisiter une histoire familiale forgée, pour le plus grand nombre, par les activités agricoles et maritimes, et aussi les nouveaux arrivants qui sont à la recherche d’un nouvel enracinement. L’histoire locale transmise et expliquée dans un projet muséal donne une lecture du territoire et de ses habitants. A ce titre, elle peut favoriser la création du lien social et le partage d’un destin commun. Pour conclure, comme disait Bismark : « On ne peut savoir où on va, si on ne sait pas où on est et d’où on vient ».

Question 4 : Quels sont les grands défis que vous avez eu à relever dans le cadre de ce projet muséal ?

Compte tenu de l’importance du projet et de sa nouveauté au regard des expériences et compétences de la commune, il m’a fallu convaincre tout d’abord tous mes collègues élus de son intérêt et de sa faisabilité. Cela a évidemment nécessité de nombreuses et récurrentes présentations dans les différentes instances municipales (bureau, commissions, Conseil municipal) et lobtention de leur adhésion, notamment celle du maire. La récompense de mon engagement et de mon travail a été, sans conteste, l’adoption du projet à l’unanimité du Conseil municipal en juillet 2016. Au delà des élus, il était aussi essentiel de susciter l’adhésion de la population au projet, une affaire pas obligatoirement gagnée d’avance, compte tenu de la perception encore délicate du patrimoine industriel qui peut évoquer localement des souvenirs ou des images pas forcément positifs. La création de l’Association des Amis de la Conserverie A. Le Gall (ACAL), l’organisation de réunions publiques sous son égide, la communication multimédias, les visites commentées du site ont été autant de réponses à cette problématique. Pour ce qui concerne les partenaires publics et privés, dont on attendait plus qu’un soutien moral, la tâche a été considérable et a nécessité, tout au long des cinq années, de multiples dossiers de présentation, réunions, échanges et une argumentation prenant en compte la dimension et les enjeux culturels et économiques extracommunaux du projet. Ma tache a été globalement facilitée, je le concède, par l’engagement de première heure de la DRAC Bretagne (classement du site en Monument Historique en 2016) et de son Architecte des Bâtiments de France pour le Finistère, Pierre Alexandre.

Convaincre, mais aussi mobiliser. Pour réaliser un tel projet, il faut aussi le partager et fédérer le plus de compétences et particulièrement, celles que l’on ne possède pas. Des élus se sont particulièrement engagés, à mes côtés, en raison de leurs expériences personnelles ou de leur sensibilité à l’histoire locale ou à la conservation du patrimoine. Le meilleur exemple est celui de Pierre Quillivic, qui, selon ses termes, est « tombé tout petit dans le chaudron des conserveries de sardines ». Fils de directeur de conserverie, une carrière de directeur technique dans une grande conserverie douarneniste, il possède une connaissance intime et inestimable des processus industriels, des savoirfaire et des réalités du travail dans ce secteur. Un apport essentiel pour la mise en scène des bâtiments et des collections dans le projet muséographique et scénographique. Il était donc l’homme désigné pour prendre mon relais sur le pilotage du projet en 2020. La mobilisation a concerné également, au travers de l’ACAL et du Comité scientifique et culturel, mis en place en 2019, le monde associatif, (histoire locale, notamment) et différents experts (Serge Duigou, historien du pays Bigouden, Joseph Coïc, auteur de nombreux ouvrages sur les conserveries de poisson et sur les ports de pêche. Enfin, je ne voudrais pas oublier l’action de mobilisation des habitants et plus généralement des « amoureux » de Loctudy par la campagne d’appel aux dons, sous l’égide de la Fondation du Patrimoine.

Il était aussi important que je sécurise le projet sur deux plans : juridique et financier : Sur le plan juridique, tout d’abord, puisqu’il est essentiellement financé par des fonds publics. La question soulevée, dès le départ, était celle de la protection à long terme de l’investissement public. En 2016, après l’adoption du projet par le Conseil municipal, une solution d’urgence a été trouvée pour ne pas retarder le démarrage du projet et instruire rapidement les dossiers de subvention. A cet effet, a été mis en place un bail emphytéotique de 40 ans, sans loyer. Une formule qui répondait aux souhaits du propriétaire, dont l’attachement au site et à son devenir était très fort. La formule s’est rapidement révélée inadaptée : accès difficile ou limité aux cofinancements publics, problèmes fiscaux. Aussi, en 2017, un accord a été trouvé avec le propriétaire pour une cession en pleine propriété des immeubles et des collections. Sur le plan budgétaire, ensuite, puisque les coûts d’un projet de cette importance ne peuvent être supportés par les seules finances de la commune. Le maire s’est d’ailleurs engagé explicitement auprès des élus et des habitants à ce que la charge budgétaire liée au projet n’excède pas une certaine limite (300K€). Ce fut un exercice difficile parce que, par nature, la restauration d’un vieil immeuble en très mauvais état révèle beaucoup de surprises. De plus, comme il s’agit d’un Monument Historique classé, il y des obligations, parfois coûteuses auxquelles on ne peut déroger. Le cabinet Lizerand d’Auray, architecte du patrimoine, que nous avons choisi comme maître d’œuvre nous a conseillé et accompagné de manière très efficace pour obtenir le meilleur rapport qualité/coûts (établissement des appels d’offres, sélection des entreprises). L’autre versant de la maîtrise budgétaire, c’était la recherche de ressources tierces. J’avoue que, en ce domaine, j’ai, selon la formule à la mode, essayé de « cocher toutes les cases ». Les contributeurs sont nombreux et j’en profite pour les remercier, car, sans leur engagement, ce projet n’aurait jamais abouti. Pour le secteur public, l’Europe, le Ministère de la culture (principal contributeur), la Région Bretagne, le Département du Finistère, la Communauté de Commune du Pays Bigouden Sud, et pour le secteur privé, la Fondation du patrimoine, les Fondations du Crédit Agricole (dont celle de la Caisse régionale du Finistère ), la Fondation des vieilles maisons françaises, la Mission Bern (Projet de Loctudy retenu comme projet prioritaire en 2018), la Société Nouvelle de Mécanique de Quimperlé (restauration des machines ), Sertico de Quimper (restauration de la chaudière et des tuyauteries de l’usine). Ce travail de « chasse aux subventions » m’a pris, vous l’imaginez, énormément de temps puisque chaque contributeur instruit de façon spécifique la demande, en fonction de son statut, de ses procédures, de ses missions et valeurs, de ses budgets et modes de décision. J’ai pu, en ce domaine, m’appuyer sur les compétences professionnelles très précieuses de Laurent Le Tartesse, responsable du service comptabilité et finances de la Mairie.

Un dernier défi de taille que j’aimerais souligner est celui de lacquisition d’un savoirfaire dans le domaine patrimonial et culturel. J’ai dû me familiariser avec tout un vocabulaire technique, spécifique au secteur en question. Des notions techniques telles que « chantier des collections », « projet scientifique et culturel », « programmation architecturale », ça vous dit quelque chose ? J’avoue que, au départ, je n’ai pas saisi spontanément et concrètement le contenu et la portée opérationnels de ces vocables. Je ne savais pas non plus que, pour déplacer un objet des collections, de l’usine jusqu’aux réserves à quelques centaines de mètres de distance, il me fallait l’autorisation de la DRAC et un arrêté du Préfet de Région. Pas plus qu’il nous fallait renoncer à l’isolation de certaines toitures, qui entraînait une rehausse du bâtiment de quelques cm, pour ne contrevenir au principe de « restauration à l’identique ».

Ce sont quelques exemples du caractère très spécifique des opérations de restauration et de valorisation d’un patrimoine historique. Il y a des formations et des métiers adhoc pour conduire ce type de chantiers. C’est le « job » des conservateurs de musée, des muséographes et autres scénographes. Ingénument, j’ai pensé au départ, que la commune pourrait se faire étroitement assister par les experts des collectivités publiques plus importantes. J’ai déchanter rapidement et admettre qu’il me fallait compter principalement sur nos propres moyens. C’est un problème général, pointé par la Mission Bern, qui handicape les petites collectivités locales voulant s’engager dans des opérations patrimoniales et culturelles.

Les ressources externes existent, mais il faut les solliciter puis les assembler. Fort heureusement, nous avons pu aussi compter sur les compétences de prestataires spécialisés, dans différents domaines. Prises en charge par des maîtres d’œuvre, les opérations de restauration n’ont pas posé de réelles difficultés de pilotage. On dispose de la matière (immeubles, mobilier, machines…etc) et les cahiers des charges élaborés sous contrôle de la DRAC. Pour ce qui concerne la muséographie et la scénographie, c’est une autre affaire, dont je n’avais sans doute pas mesuré au début du projet, faute d’expérience en ce domaine, toute la complexité. C’est sans conteste le défi le plus important que j’ai relever dans ce dossier. Comme je l’ai dit précédemment, la seule conservation d’un patrimoine ne suffit pas. Il faut le faire vivre. L’important, c’est l’histoire qu’on veut raconter et la manière dont on souhaite la raconter. La muséographie et la scénographie sont les outils essentiels pour faire vivre et transmettre cette histoire, lui donner corps et cohérence, espace par espace. Mes échanges avec Bernard Jacq, chef du service Patrimoine du Conseil départemental, ont bien éclairé mes premiers pas. Je l’en remercie sincèrement.

Cette histoire, elle s’est écrite page par page pendant de longs mois, au sein du comité scientifique et culturel, dont j’ai déjà parlé. L’alchimie des compétences, des talents et des passions des uns et des autres a fonctionné à merveille, dans une ambiance conviviale, avec le concours de Pierre Combes, muséographe expert dans le domaine maritime et d’Anthony Hamon, un jeune scénographe avec déjà de solides références (Auditorium de la Cité Mondiale du vin de Bordeaux).

Question 5 : Quel est votre plus beau souvenir sur ce projet muséal ?

J’ai énormément de souvenirs, de beaux souvenirs sur ce projet. C’est difficile d’en choisir un en particulier. Je pourrai parler notamment de toutes les heures que j’ai passées avec les bénévoles de l’association des Amis de la conserverie Alexis Le Gall. Ils nous ont beaucoup aidés sur ce projet, notamment dans le travail de muséographie. Nous avons passé des journées à n’en plus finir entrecoupées par un brunch pris sur place et un pot de l’amitié à réfléchir à la bonne manière de raconter l’histoire de la conserverie. C’était une ambiance très amicale et féconde qui était à la fois motivante et rassurante pour boucler ce volet du projet. Si je devais noter un souvenir spécifique, je pense que je choisirais le jour où j’ai eu la réponse de la Région Bretagne m’annonçant que le projet de la conserverie avait été retenu à l’appel à projet « Héritages Littoraux ». Je pense que cet événement a constitué un tournant significatif dans l’avancement du projet. Nous étions à la fin du printemps 2016. Le projet s’était amorcé doucement l’année précédente à la demande de l’Association pour la Culture et le Patrimoine Maritime. Mais les contours du projet restaient encore flous et il faut avouer qu’aucune conviction ne s’était encore véritablement dégagée pour la réalisation du projet. La perspective avait été évoquée en conseil municipal mais sans plus. La candidature à l’appel à projet « Héritage Littoraux » est arrivée à point nommé. D’une part, elle m’a conduit à rédiger, à vitesse accélérée et toutes portes fermées, le dossier de présentation du projet pour mettre notamment en évidence son intérêt patrimonial et culturel et son articulation avec les stratégies de développement territorial (plan de développement du tourisme à l’échelle communautaire, maillage des équipements culturels en Cornouaille). D’autre part, elle a permis une réelle reconnaissance en interne et à l’extérieur (presse locale) de la pertinence et de la légitimité du projet, puisque retenu parmi les premiers avec la plus forte subvention, A la mijuillet 2016, a été prise la délibération du Conseil municipal pour prendre la maîtrise d’ouvrage de la restauration et la valorisation de la Conserverie le Gall. Ce fut le début officiel de cette aventure !

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